Fière d’être une Marinette

Le mot Marinette s’entend sur les pontons, dans les ports et même sur certaines annonces d’emploi à la plaisance professionnelle.

Vous ne le trouverez jamais dans un dictionnaire et pourtant, quand on parle d’un marin au féminin, on utilisera souvent le terme de Marinette.

Les femmes n’aiment pas toutes se faire appeler comme cela, elles trouvent ça trop « mignon » trop marionnette, trop loin de la virilité de leur métier de femme marin.

Que ça leur plaisent ou non, le nom Marinette revient malgré elles.

 

Pourquoi ?

Peut être parce que ce nom à une histoire que peu d’entre nous connaisse et qui remonte à bien plus loin que ce que l’on imagine.

Rappelons le contexte de la femme française : Au XIXe siècle, les femmes qui travaillent le font par nécessité et le plus souvent ce sont des métiers manuels demandant peu de qualifications, comme les couturières, les cuisinières…

Il faudra attendre 1924 pour que les femmes aient le droit de passer leur baccalauréat.

Pendant la seconde guerre mondiale, le rôle des femmes dans la société sera véritablement reconnu et certaines se retrouvent engagées dans la résistance.

 

 

L’appel du 18 Juin 1940.

Il est entendu par des hommes mais aussi par des femmes refusant le joug germanique.

Les premières arriverons à Londres afin de s’engager dans les forces féminines britanniques, le seul corps féminin militaire existant.

Très vite, elles seront une centaine, commandée par Héléne Terré et intégrée par décret au sein des forces française libres.

On les divise en section, terre, air, mer, ajoutant des infirmière et des assistantes sociales.

La répartition pour l’armée de mer sera de 1/5e, autrement dit 115 femmes deviendront les premières « Marinettes ».

Les femmes pouvaient s’engager à partir de 21 ans et jusqu’à 40 ans avec l’accord écris de leurs maris.

Une enquête était alors réalisée auprès de leurs proches, des commerçants et du voisinage afin de leurs desservir un « certificat de bonne vie et mœurs » et cela sans les informer.

Par ailleurs, on leur proposera un large choix de spécialités, les femmes officiers auront donc le choix entre le maintient de l’ordre, l’instruction, le secrétariat, l’intendance,…

La majorité d’entre elles occupaient principalement des postes d’infirmières ou de secrétaires.

A l’époque, les Marinettes engagées sont la plus part du temps assimilées aux infirmières.

Seulement neuf d’entre elles sont alors envoyées au front pour seul but de récupérer les blessés afin de les soigner par ordre de priorité.

La guerre finie, les autorités autorisent un faible pourcentage de femme à rester mais en les cantonnant dans les bureaux.

Ce qui fut une nécessité devient alors une faveur à ces dames.

 

 

Le 15 octobre 1951, un nouveau statut commun au personnel féminin entre en application. Les marinettes se retrouvent plus proche du fonctionnaire en uniforme, aucune formation militaire ne leurs aient fournis, les autorités veilleront à ce qu’elles restent bien éloignées des armes et du terrain.

Nombreuse s’engage sans réellement connaître ce qui les attend. Elles se focalisaient sur leurs métiers et découvraient jours après jours leurs statuts de militaires.

En 1968 elles sont alors 175 femmes dans la marine. Un métier rare et atypique qui attirait les plus téméraires ayant des envies d’aventures.

Du fait de leur petit nombre, les marinettes sont cloisonnées loin des hommes, ne partageant aucunes activités. Leurs repas étaient pris dans une salle séparée, interdiction de parler aux hommes et de se mélanger.

Leurs tenues militaires stricte et codifiées interdisaient bijoux et maquillage. Lors de rares sorties autorisées en civile le port du pantalon leurs était interdit.

Difficile de nos jours de pouvoir imaginer un tel règlement archaïque pourtant nous sommes bien en 1968.

Le personnel féminin était mal vue par leurs confrères militaires, subissant moquerie et humiliation à répétition. En ville, elles sont considérées comme peu fréquentables.

A cette époque, l’embarquement des femmes n’étaient pas encore autorisé. Cependant, on les « amarinées » : Elles passaient une journée en mer à bord d’un navire dans la rade de Brest.

L’accueil était peu chaleureux, nombreuses d’entre elles étaient malades. La formation très sommaire avait pour but de les cantonner aux postes administratifs.

Les événements de Mai 1968 vont bouleverser la société et le sentiment anti-militarisme du peuple français. Les armées ont du mal à recruter, vont élargir leurs critères et laisser plus de place aux femmes.

Le 23 Mars 1973 sous Pompidou, un décret modifiant le statut de 1951 est signé, le personnel féminin de la marine devient le PFM.

Le terme « féminin » impose toujours une différence, mais ce décret les assimile désormais à des militaires et leur règlement est identiques à celui des hommes.

Droits et obligations deviennent similaires et aucune distinction de sexe ne sera fait.

Pour la première fois, le grade d’officier maritime est accessible à une femme. Néanmoins les effectifs réduits ne permettrons certainement jamais à une femme d’y accéder …

 

 

Madame Desbordes sera la première femme à pouvoir accéder à l’école de guerre malgré ses camarades masculins, septiques et peu chaleureux.

Il faudra attendre plus de dix ans pour qu’une seconde femme intègre une nouvelle fois l’école militaire.

En 2002, madame Desbordes sera la seule femme à accéder au titre de contre-amiral.

Madame Desbordes contribuera donc largement à l’évolution des Marinettes pour les futurs trente décennies en accédant à un grade que l’on ne voulait surtout pas rendre accessible aux femmes.

Une magnifique interview d’elle est retranscrit dans le livre : «  La Marine Nationale au Féminin de 1943 à nos jours », écris par Lucile Clémens-Morisset. Elle y rapporte le témoignage touchant de cette contre-amiral charismatique, engagée dans la marine en 1970.

Il faudra attendre 1982 et la création de la commission d’études prospectives de la femme militaire présidée par Valérie André. Des expérimentations sont proposées, les volontaires devaient s’adapter facilement à la vie à bord et justifier d’un très bon bagage scolaire.

L’expérimentation durera entre 1983 et 1987, sur 1800 femmes seulement 40 accepteront d’embarquer.

Forte d’une grande expérience et d’une grande notoriété, Madame Desbordes créa une commission féminine dans les années quatre-vingts dix.

Elle s’est inspirée du fonctionnement des pays voisins et a parcouru les écoles afin de constater les difficultés sur le terrain.

L’ensemble de son travail permit en 1993 d’ouvrir aux femmes l’école navale et l’école du commissariat de la marine.

Cette même année, le port du pantalon est obligatoire aux femmes en mer puis à terre, ce qui semble pourtant beaucoup plus pratique que la jupe aux genoux ..!

Les choses changent, les grades deviennent accessibles même pour les mères de familles. Les quotas et dérogations disparaissent définitivement en 1998.

Cette minorité de femmes souhaitant embarquer devient alors aujourd’hui la grande majorité désireuses prendre la mer au plus vite avant d’avoir des attaches affectives ou familiales.

 

Depuis 2002, les femmes ont donc accès à une carrière identique à celle des hommes dans la marine nationale.

Il aura fallut beaucoup de temps pour que les navires soient adaptés afin d’accueillir le personnel féminin ( cabines et sanitaires séparés etc). Aujourd’hui encore de nombreuse problématique persistent à ce sujet qu’importe le domaine maritime que ce soit à la marine nationale, au commerce ou à la plaisance professionnelle.

En 1944, 1100 Marinettes étaient engagées et ont répondu à l’appel malheureusement et bien malgré elles, ces femmes des mers sont renvoyées chez elles, à leurs foyers, ce qui à l’époque semblait plus convenable à leur condition de femme.

Ainsi en 1968, elles ne sont plus que 196 Marinettes.

A ce jour, elles sont nombreuses à avoir été des pionnières dans le monde maritime. Je ne retracerai pas ici le parcours de chacune d’entre elles.

 

 

Je souhaitai surtout retracer l’histoire du terme « Marinettes ».

On peut trouver le terme de Marinette mignon, gnian-gnian, enfantin, à une époque je ne le trouvais pas très flatteur non plus mais aujourd’hui, en faisant connaître cette histoire, j’espère redorer ce nom car qu’on l’aime ou non, il est le marqueur d’une époque ou les femmes ne pouvaient pas être marins, il est la trace d’une poignet de précurseur.

Ce mot, j’ai fini par l’aimer, le trouver honorable et à défaut d’avoir un féminin au nom « Marin » je ne m’offusquerai plus à celui de « Marinette », au contraire, j’essaierai de l’embellir, de lui donner la noblesse qu’il mérite.

Aujourd’hui encore, il n’y a que 2 % des marins professionnelles femmes dans le monde tout milieu confondu (marine nationale, commerce, plaisance professionnelle). Intégrer le milieu maritime reste compliqué.

Au sein de la marine nationale, on compte 65 bateaux équipés pour la mixité des équipages, 14 % de femmes navigantes et depuis 2018 une première femme a pu embarquer à bord d’un sous marin !

Soyez donc fières, soyez donc fortes et pensez à ces pionnières !

Désormais si quelqu’un vous taquine à vous appeler Marinette, prenez le sous un autre angle,

vous ne pourrez pas empêcher les gars sur les quais de vous appeler Marinette mais vous pourrez changer leur point de vue et voir en ce terme une poignée de femmes fortes, fortes comme vous, des femme des mers.

 

Pour plus de précisions je vous invite vivement à lire le livre de Lucile Clémens-Morisset :

«  La Marine Nationale au féminin de 1943 à nos jours ».

Même si ce livre traite l’aspect militaire, il évoque parfaitement le questionnement d’une femme marin qu’importe le navire sur lesquels elles naviguent.

« Pour autant, je n’ai pas le sentiment que tout a été fait. Nos jeunes consœurs ont et auront, elles aussi des défis à relever. Comment vont-elles gérer l’héritage que nous leurs léguons ?

(…)

il me semble que pour elles la difficulté se situe déjà dans la manière de concilier les exigences de l’état de militaire avec des choix personnels, aussi naturels et justes soient-ils. Pour que « faire carrière » ne soit pas le seul apanage des hommes, il conviendra sans doute d’inventer des dispositions nouvelles qui exonèrent les femmes d’un choix trop cruel entre vie professionnelle et vie familiale. »

Extrait de la postface écrit par la contre-amiral Chantal Desbordes.

 

 

                                                         

 

Source: La marine national au féminin de 1943 à nos jours de Lucile Clémens-Morisset, interview du contre amiral Desbordes, recherche personnel.

 

 

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