Cap au Nord (3)

Le vent continue de forcir face à nous, la houle d’environ deux mètres, commence à nous secouer.

Dans cette situation, moteur, nous n’avons pas le choix. Chaque vague un peu plus forte, s’écrase sur nos coques, nous donne l’impression d’ouvrir le bateau en deux. Ça tape, dans tous les sens. Difficile d’apercevoir les glaçons avec cette mer. Elle est grise, blanche des crêtes qui déferlent, bleu dans ces remous, ridé par le vent. Un goéland valse autour du bateau. La terre n’est pas loin. Au moteur, compliqué d’avancer. Nous naviguons à 1,6 nœuds (3 km/h), vitesse de pointe de mamie Josiane rentrant de son marché un dimanche matin, le caddie plein.

En 24h, l’avancée ne fut pas transcendante.

Le Fuel quant à lui, se vide à vue d’œil. Les corps se fatiguent, les esprits aussi.

Nous montons, tranquillement le vent et la mer se calme, et puis pétole, dans ce pays, c’est tout ou rien. Nous n’abandons pas notre moteur. Les filtres s’encrassent des dépôts posés au fond du réservoir.

Avec la mer agitée et le réservoir qui se vide, toutes les petites crasses viennent bloquer l’alimentation de notre moteur bâbord. Il toussote, ralenti, il n’est pas très content. Alors on change de moteur. C’est son copain tribord qui prend la relève. Le froid continue, 3°c a l’intérieur, c’est désespérant.

Nous mangeons avec des gants, le contact de l’inox des couverts est horrible. La bouteille d’eau est blottie dans une chaussette de laine, l’huile d’olive s’est transformée en pâte, très compacte.

Depuis L’Islande, nous n’avons pris qu’une douche, quatre jours après le départ. Pour ma part ça sera la dernière. Je choisis d’être sale plutôt que de revivre l’épisode de la douche par 3°c, ne pouvant utiliser que trois litres d’eau tiède, se rhabiller humide et glacée, puis attendre plusieurs heures que les cheveux veulent bien sécher et prier pour ne pas tomber malade. Du coup, mes meilleurs amis se nomment Déo et lingette. Pour ce qui est des cheveux, on se contente d’un bon bonnet… Du coup l’ambiance est loin d’être girly, plutôt bonhomme « Micheline » enfouie sous une couche de vêtements, sale poilue et qui pue !

A trente heures de l’arrivée, le manque de fuel commence à nous inquiéter sérieusement et le vent ne prévoit pas d’être au rendez-vous. Le cap ‘Taine scrute le moindre port pouvant nous fournir un peu carburant. Au Greenland, ce n’est pas si évident… Les ports très enclavé dans les fjords, ne sont pas tous près de notre route. Nous avons toujours du frais, des bananes congelées , des oranges et un choux accompagne nos repas, on ne manque pas de faim. Les repas sont copieux, il faut des forces. Nous cuisinons un peu tous, à tour de rôle.

Le moteur toussote, il est 20h, et s’arrête. La décision de changer les filtres se fait rapidement, sur les deux moteurs. Impossible de les redémarrer. La jauge de fuel est pourtant au 1/4, un calcul de notre consommation depuis l’Iceland et une vérification a l’œil du réservoir, nous sommes à sec.

La jauge est défectueuse. Oups…

A environs 130mn de Nuuk (280km), le vent est nul, et nous tournons en rond… Demi-tour, nous mettons le cap vers le port le plus proche et susceptible d’avoir de l’essence. La nuit se passera au bon vouloir du vent, notre vitesse oscille entre 0,4 et 3,5 nœuds. Nous sommes scotchés. Les cerveaux cogitent, l’entrée dans un fjord, sans moteur,, les cartes marines ne sont pas fiables, s’amarrer à un quai, impossible. L’option de mettre l’ancre dans le fjord et d’aller chercher quelques jerricanes en annexe, semble le plus favorable. Nous organisons la nuit en binôme.

Nous manœuvrons beaucoup, à la moindre variation de vent. Ça réchauffe et nous garde éveillés.

Nous croisons des icebergs, un gros phoque barbu sur un morceau de plaque, le premier depuis La Rochelle. Le port est à 30mn (environ 50km) il nous faudra dix heures pour le rejoindre.

Au petit matin, un cargo s’affiche sur notre GPS. Nous l’appelons, expliquons notre situation et lui demande de nous dépanner de 40l de fuel.

De l’autre côté, sur le « Erina Artica », le capitaine stoppe le navire, fait préparer notre livraison express ! L’annexe est mise à l’eau, le chef s’équipe avec une combinaison sèche (combinaison de survie pour le voyage) et quelques flasques de rhum pour les remercier. Il part se mettre à couple, avec le cargo de 350 pieds, c’est plutôt impressionnant ! Grâce à un mat de charge, ils lui descendent les jerricanes directement dans l’annexe. Leur fuel n’est pas compatible avec nos moteurs, ça fonctionnera le temps du trajet. Normalement.

L’arrivée à Paamiut, nous fait traverser le fjord dans la brume, enclavé au milieu des cailloux, nous sommes soulagés d’avoir nos moteurs.

Sans, est-ce que nous aurions pu rentrer ? Pas si sûr…

Au milieu de la passe, l’épave rouillée d’un bateau de pêche, posé, non loin de nous. C’est rassurant. C’est notre premier contact avec le Greenland, un des plus grands villages du pays, 1600 habitants.

Des maisons de toutes les couleurs en bois, des crânes de rennes à l’entrée. Le contact avec les Inuits est accueillant. Très disponibles et heureux de nous rendre service. C’est ainsi que nous rencontrons Hugo. Alors que nous cherchons de l’eau, nous partons avec une quinzaine de jerricanes vers une de leurs petites maisons bleues, indiquant les points d’eau. Il y en a un peu partout dans le village, gratuite pour tous, elle vient du glacier en amont de Paamiut.

Celle près du port a une sortie d’eau trop grosse pour nos bidons. Hugo arrive dans son gros pickup jaune accessoirisé de gyrophares bleu et orange, nous fait faire un tour de la ville à la recherche du bon tuyau qui pourra alimenter nos besoins d’eau. Il nous ramènera au bateau, nous aidera à charger et nous proposera même sa salle de bains. Il a dû remarquer ou sentir que notre dernière douche remonte à dix jours !

Notre nouvel ami téléphonera à un Français, Jacky, installé plus au nord depuis plusieurs années. Il nous fait part de ces connaissances du coin et nous donnera des conseils d’escale pour la suite. Hugo nous dit qu’ici, c’est toujours bien d’avoir le numéro d’un ami.

Hugo est beau, un visage d’Inuit pale, des yeux d’enfant, souriant. Il inspire la gentillesse, tous simplement.

Nous le recroiserons plusieurs fois, le village n’est pas bien grand ! Une bonne nuit de sommeil, le lendemain, c’est lundi , nous devons passer par les douanes, la déclaration du bateau et de l’équipage étant obligatoire.

C’est un policier, danois qui nous reçoit avec de grands sourires. Intéressé par notre trajet et notre nationalité, il a appris un peu le français à l’école. Il a du mal à trouver le bon tampon pour nos passeports, des visiteurs ici, il n’y en a pas souvent. Si dans certains pays, cette formalité est une désagréable corvée, ici tout se fait dans la bonne humeur !

Dans leurs bureaux, des crânes de rennes, et une photo de nounours nous interpelle. Ce policier nous explique que la photo a était prise au village, par des pécheurs en Juin 2011, ce qui est tard pour apercevoir des ours blancs . Les pécheurs les ont appâtés en chassant des phoques, les ours seraient venus de Nuuk a 300km, appelés par la faim, ils sont deux sur la photo, ils ont l’air jeunes. Trop près des habitations, les policiers ont dû les tuer.

Nous nous baladons un peu plus loin, après le village.

C’est sale, très sale. Un paysage idyllique, les montagnes enneigées, la roche teintée de gris et de beige, et des déchets. Un peu partout, du papier au pickup abandonné. Un peu plus loin nous tombons sur le centre de tri du village… une immense décharge à ciel ouvert.

Retour au bateau, un pécheur est amarré prés de notre catamaran avec sa petite barque, deux phoques pendent ensanglantés sur le liston de son canot. Tout le monde chasse, les armes s’achètent dans les stations-service, sans autorisation, pour chasser, mais aussi se protéger ; des ours, des rennes, de la vie « sauvage ».

Un point météo et l’équipage commencent à préparer le départ, la météo est bonne. Il est 13h, nous sortons du fjord, un ballet de phoques nous salue. Le temps est toujours brumeux et le crachin permanent. Nous reprenons notre route. La mauvaise visibilité nous empêche de profiter du paysage.

Le vent est tombé, dans mon duvet, je suis réveillée, j’ai trop chaud, pourtant la température de doit pas dépasser les 5°C. Mon corps s’est habitué ! Mieux que ce que je pensai!

C’est la dernière journée, mon dernier quart. Nous arriverons à Nuuk dans l’après-midi. C’est passé, toujours trop vite, j’ai peur de ne pas en avoir assez profité …

Je ne peux avoir de regrets. J’ai savouré chaque instant. Alors j’écris, je dessine. Le papier est la marque du souvenir.

Avec le temps, certain détails se cacheront dans la mémoire.

J’observe la mer, la brume s’évanouit ,laissant apparaitre les montagnes blanches de neige. Un dos noir apparaît gracieusement à quelques centaines de mètres du bateau sur notre bâbord. Un deuxième de la même taille.

Telle une vague, ces grosses masses pesant des dizaines de tonnes, sont deux à trois fois plus grandes que notre bateau.

Si délicate, je n’en ai jamais vue de si prés. Elles ondulent, soufflent, c’est impressionnant, leurs souffle montent peut être a deux ou trois mètres, difficile de se rendre compte. Elles passent devant moi, le long du bateau, comme pour me saluer.

Ce sont des moments exceptionnels, privilégiés . Comme les premiers icebergs, les seules baleines qui ont croisé notre route, sont que pour moi. La nature me gâte, je suis émue.

Nous ne sommes pas dans un bateau touristique de Whale Watching, qui traque la moindre baleine pour émerveiller les touristes venu consommer leurs congés annuels . Avoir la chance de découvrir ces choses, différemment, sans aucune certitude … Juste le hasard de la nature.

« Pour les gens dépourvus d’imagination, un espace vierge sur une carte, représente un désert sans intérêt, alors que pour les autres, c’est sa partie la plus précieuse. »

Et voilà, le voyage se termine, à l’arrivée. Pour moi ce sera Nuuk, la capital la plus septentrionale du monde. Quatre jours nous permettent de visiter un peu cette minuscule capitale. Les bars nous montrent le problème d’alcoolisme du pays, le même que dans tous les bars du monde ! Nous faisons de très belles rencontres . Et quitter le bord est très dur. Forcement l’envie de continuer…

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