Cap au Nord (2)

Nous reprenons la mer un vendredi à minuit, chaque heure compte pour cette météo si incertaine, normalement, on ne part jamais un vendredi, superstition de vieux matelot !

Dès les premières douze heures, le froid se fait ressentir, dans le bateau la température ne dépasse pas les 12°c, et la mer avoisine les 9°c. La navigation n’est pas super, le vent pas vraiment au rendez-vous, nous marchons au moteur, une longue houle de sud-ouest remue mon estomac fragile depuis quelques jours. Aucun cétacé ne daigne se montrer, pas d’oiseaux, la mer est vide, inhabitée.

Depuis le départ, nous n’avons rien péché, et ça ne s’arrange pas. Pas une touche, nous oublions l’idée de manger du poisson frais. L’ambiance est un peu morose, les journées se font longues.

Les conversations à table tournent en rond, on reparle souvent des mêmes choses, schéma typique de la vie en promiscuité, parait-il.

Amateur de cuisine et gourmande à ses heures perdues, nous mijotons des petits plats tous les jours. Voyager en bateau ne veut pas dire manger du lyophilisé, en tous cas, pas pour nous ! L’escale a permis de nous approvisionner en frais, quelques fruits et légumes que nous essayons de garder le plus longtemps possible. Nous les mangeons pourris en général…

La température chute de jours en jours, quatre jours après le départ, nous ne dépassons pas les 6°c, pour la mer ça sera 4°c.

Des températures propices aux icebergs, chaque jour nous recevons une météo et tous les deux jours une carte nous indiquant la glace. Icebergs, glaçons, growleurs, bourguignons, le pac, la limite des bergy water. En deux heures, un matin, la température chute, 4°c dans le bateau, 2°c pour la mer. Le corps souffre, chaque articulations est douloureuse, grinçante, endolori. Les mains, rapidement glacées ont du mal à se réchauffer, des milliers d’aiguilles les transpercent les bouts de nos doigts. Tous est au ralenti, nous devons faire attention, chaque mouvement doit être contrôlé, anticipé, une blessure dans ces conditions est vite arrivée. La possibilité de passer par-dessus bord, impossible d’y penser.

Dans de telles eaux, l’espérance d’un corps, sans séquelle est de 4 minutes. C’est donc notre plus grande crainte.

A cinq heures du matin, au chaud dans mon duvet, Le chef vient me réveiller, il est de quart. Les premiers icebergs sont à vue, plus tôt que nous l’avions prévu, à 4 milles nautique de notre position (7,5 km). Ces gros blocs que nous n’apercevons pas si bien, noir, massive, la visibilité n’est pas très bonne et la luminosité absente, ils ont l’air immenses. Mon quart commence dans une heures, je retourne, cacher dans mon duvet toute excitée, je n’arriverais pas à dormir.

Nous sommes venus pour ça, les apercevoir, autrement que dans des bouquins ou dans des reportages. On s’est tous demandé, en vrai ? Comment c’est ?

C’est impatiente que je me lève pour mon quart. Je ne vais pas être déçue ! Une demi-heure après mon réveil, j’en aperçois un, devant nous, puis d’autres, un peu partout. Ils sont majestueux.

Ceux-là, ce sont les miens, rien qu’à moi, le bateau dort, je suis seule au poste de barre, ils sont là que pour moi, je ne les partagerais pas. Ils seront les plus beaux de tout le voyage. Les premiers…

Un frisson me traverse, c’est si impressionnant. On se sent si petit, comme si on rentrait dans leur intimité silencieuse. On s’incruste chez eux, on s’invite dans le décor. C’est encore mieux que dans mon imagination, mais peut-on réellement imaginer ces moments ?

Avec l’arrivée des icebergs, s’en suivent les growleurs, petits glaçons détachés de son papa iceberg, éparpillés sur une grande étendue, dérivant rapidement avec le courant et le vent. Dès que la mer est un peu agitée, il est très difficile de les apercevoir. C’est notre ennemi. Car voyage exceptionnel, bateau exceptionnel !

Les catamarans sont conçus pour la navigation ensoleillée, sous des latitudes plus chaude, dans un petit coin des caraïbes, un ti-punch à la main ! Notre « Fountaine Cagot » (surnom de la marque du bateau !) est fabriqué de série, en strat. L’épaisseur des coques avoisine les 3mn, une feuille de papier facile à déchirer…

Pour le voyage, Elle s’est faite une beauté, deux mois de chantier, des renforts en Kevlar sur toute la ligne de flottaison et les étraves. Ainsi que d’autres « bricoles » qui permettent ce voyage réalisable. Malgré les renforts, la rencontre avec un growleur pourrait lui être fatale.

L’absence de nuit noire et le radar nous permet une veille facile mais le risque zéro n’existe pas.

A la VHF, nous sommes appelés, l’entrée dans les eaux du Greenland nous oblige à nous identifier. A partir de maintenant, nous devrons signaler notre position, cap suivi, vitesse, destination, l’heure prévue à destination et si tout va bien à bord… et ça, toutes les six heures.

Si nous loupons un appel, des moyens de recherche sont envoyés en quelques minutes et un « Mayday » alerte tous bateaux sur zone. On ne se voile plus la face, nous sommes dans une zone de navigation engagée.

Les jours se suivent, les icebergs aussi, toujours présents. Chaque moment est privilégié, le simple fait de manger, ou de faire du pain, face à ces gros blocs de glaces, rends ces moments uniques. Les glaçons, diffèrent, aucun ne se ressemble. Du blanc neige, au bleu translucide ! S’en approcher, les entendre vivre, craquer.

Ils provoquent une attirance, semblable à celle du vide, absorbante, on a envie de les toucher. On pourrait presque ressentir leurs âmes, dérivant depuis des années, des centaines d’années. Le vent monte, nous sommes au prés, la mer se forme, nous marchons bien, le bateau se débride, naviguer à la voile fait du bien à tout le monde et nous économise du carburant pour la suite.

Des dizaines de globicéphales nous suivent, ils doivent être une quarantaine derrière le bateau. Le ballet de ce cétacé mi dauphin, mi baleine, si proche de nous, à quelques mètres, est tout simplement magnifique.

Dans ces moments-là, on a plus froid, on est plus fatigué, on ne pue plus, … on se fout de tout.

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